Tenir ensemble

Résidence photographique à l’Hôtel Fontfreyde – Centre photographique, Clermont-Ferrand
L’ensemble de cette exposition a donné lieu à une donation en 2024 à la métropole de Clermont-Ferrand
2021-2022

Tenir ensemble


« Que fait un homme qui arrive au bord du précipice, qui a le vertige ? Instinctivement il regarde au plus près – vous l’avez fait, vous l’avez vu faire…. »
Francis Ponge, Tentative orale, conférence donnée le 22 janvier 1947, à Bruxelles ; Méthodes. Nlle ed. Gallimard, 1961
« Ce n’est pas facile de voir. Il faut même un certain courage. On ne l’a pas tout le temps ».
Bram Van VeldeLa période est inédite.

La pandémie du Covid-19 a profondément bouleversé notre rapport au monde, donc aux autres, et dans tous les domaines. Penser le long terme s’est éloigné au profit de l’immédiat. Nous scrutons l’horizon en espérant le retour d’un « avant » rassurant, mais investissons la proximité, par défaut. Nous regardons au plus près. Et dans cette atmosphère pesante les images insupportables de l’Ukraine sous les bombes russes nous explosent à la figure. L’irruption du spectre de la guerre et les informations en continu font vaciller les priorités, relèguent en arrière-plan ce qui devrait, aussi, et en toute urgence, nous préoccuper. Le dernier rapport du GIEC confirme les pires prévisions et appelle à limiter impérativement le réchauffement climatique.
Photographe, les pieds sur terre, loin de la tour d’ivoire, je ne peux avancer les yeux baissés. Je vois le paysage changer, constate la rapidité des bouleversements irréversibles engendrés par l’activité humaine. Mais je perçois aussi dans l’espace urbain l’émergence d’un désir de nature et la tendance grandissante d’intégrer dans les projets d’aménagement une place réservée à la végétation qui ne soit pas un plaisant décor déconnecté des enjeux environnementaux.
Explorer une ville inconnue s’apparente à un voyage. Et même si nous attribuons à ce terme la notion d’un lointain, il est toujours question d’un cheminement qui se nourrit d’une part d’imaginaire. Le regard ne circule pas, il erre, s’accroche, bascule, prélève. C’est une histoire de rencontre et comme dans toute rencontre y résonne l’air du temps qui va influencer la perception.
A la fois ville historique à la couleur de lave noire, dotée d’un patrimoine industriel remarquable mais subissant aussi les aléas d’une économie reflétant le contexte politique et économique mondial, Clermont-Ferrand est une ville en mutation. Entourée, presque encerclée par l’imposante chaîne des Puys*, elle se déploie sous mes yeux comme un assemblage de fragments. Un puzzle unique aux pièces hétérogènes. Comme si dans cette ville à double corps – Clermont-Ferrand – aux nombreux quartiers et 21 communes avoisinantes, différenciés les uns des autres par leur histoire et un urbanisme spécifique, les raccords ou fissures prenaient le sens d’un lien.
Dans l’approche photographique de cette métropole, je me centre sur la thématique Végétation/Urbanité et ses manifestations multiples. Fascinée par la présence de juxtapositions improbables, de ruptures, d’affrontements de matières, de résistance végétale dans un contexte urbain en extension, d’ajustements réussis ou maladroits, je vis chaque immersion dans ce territoire comme l’exploration d’un univers dont l’alphabet reste à décoder. Mon regard se transforme ainsi en boîte de résonance et la construction de mes photographies se fait l’écho d’une période extérieure et intérieure traversée par des soubresauts. Mon travail ressemble à des mises en relation, des tentatives de faire tenir ensemble ce qui ne « colle » pas et qui, pourtant, est là, à valeur égale. Mais de temps en temps, par une alchimie propre à la photographie, une poésie inattendue et discrète s’infiltre en beauté dans ces constellations paysagères qui témoignent d’un monde en mode flottant, à la recherche d’un équilibre impossible.

    Beatrix von Conta, 2022

*  La chaîne des Puys-faille de Limagne est inscrite depuis  2018 sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO.

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