Les Cartes du vivant

Un fragment de cette série a été montré du 21 mars au 8 juin 2025 dans l’exposition HORIZONS SENSIBLES à la Fondation Renaud, Fort de Vaise, Lyon. Dans le catalogue figure le texte d’Olivier Gaudin, « Ecorces terrestres », en lien avec mes photographies.
2019-2022

Les Cartes du vivant


Dans mon approche du paysage qui révèle et emboîte, met en tension et en strates le paysage, une multitude de détails constitue le tissage des images. Le sujet de l’arbre traverse nombre de mes séries sous des formes différentes. Mais le dépérissement de ces « marqueurs du paysagé », éléments structurants à la mythologie puissante, révèle aujourd’hui dans beaucoup de régions les bouleversements irréversibles qui accompagnent le changement climatique. Compagnon de l’homme depuis la nuit des temps, l’arbre renvoie aussi à l’enfance, au plaisir d’explorer par le toucher, ce regard qui passe par les mains, textures et rugosités particulières. Scruter de près, compter patiemment les anneaux de croissance de l’arbre abattu, détacher un morceau de l’écorce. Humer l’odeur.
Le détail permet-il de comprendre davantage la complexité du monde, ou même d’en révéler l’essentiel ? Ne cristallise-t-il pas autrement, par un effet de loupe, une singularité qui, à l’image d’une pièce de puzzle, est constitutive d’un ensemble ?
Les Cartes du vivant ont pris racines en 2019, à Charmes, sur les bords de la Moselle, au début de la pandémie du Covid-19 et du lent et appauvrissant rétrécissement de l’espace accessible vers un périmètre restreint dépourvu d’horizon. Sur la petite route bordée d’un alignement d’arbres aux essences différentes, la lumière crue suivait le dessin des écorces comme le doigt les veines saillantes d’une main. J’avais l’impression de changer l’échelle du paysage, de basculer l’horizon en perte d’ailleurs vers une proximité intime, presque musicale. Juste en changeant de focus, je parvenais à inventer des fictions paysagères qui n’avaient rien perdu de la complexité qui magnifie des étendues plus vastes.
J’ai été sidérée par l’abondance de variétés d’écorces, au sein même d’une essence. Me détachant de la perception d’ensemble du végétal et de sa forme reconnaissable, j’ai abordé la partie sous laquelle circule la sève comme une peau protectrice faisant apparaître stigmates et particularités d’une vie loin de la nôtre.
Avec la courbure du tronc aplanie par la prise de vue rapprochée, les variations de netteté et de lumière exigent du regard de cheminer au rythme lent, de se perdre dans un univers aux repères déplacés. Carapaces rugueuses et défensives aux crevasses profondes, recouvrements sans aspérités aux teintes douces et aux pores fins, blessures dues à la taille, jusqu’aux habillages se détachant selon les saisons en lambeaux d’une infinie délicatesse, ces petites surfaces toujours uniques révèlent un paysage d’une richesse troublante et d’une étonnante sensualité. Une histoire de corps. L’attention intense au détail, déjà omniprésente dans toutes mes séries, a fini par conférer à ces fragments végétaux l’aspect d’une cartographie unique. Des Cartes du vivant pour un voyage sensible en temps incertains.

    Beatrix von Conta, 2021

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