La Marne

2023 – 2025

La Marne : échappées, flux et reflux


Dans ce projet je suivrai le fil de l’eau qui traverse mon travail depuis tant d’années. Le survol de Paris fait apparaître l’agglomération du Grand Paris en devenir telle une pelote dont s’échappent en triangle 3 fils bleus de largeurs différentes qui se connectent en son centre, à Charenton-le-Pont. Une ville cousue avec ses banlieues par les fils aquatiques de la Seine et de la Marne, fleuve l’une, rivière l’autre. Pour Le Grand Est, dans le miroir des sources (MPGE 2019-2020) j’ai quitté la source de la Marne à Balesmes-sur-Marne, afin de retrouver la rivière adulte 525 km plus loin, serpentant en boucles au milieu urbain du Grand Paris, juste avant sa confluence avec la Seine, celle qui lui vole ainsi l’appellation  fleuve.
La Marne fait partie des quatre cours d’eau (avec la Seine, l’Aube et l’Yonne) qui, via 4 grands lacs-réservoirs, ont une double fonction complémentaire dans la protection du bassin de la Seine à Paris : écrêter les crues, mais aussi soutenir le débit du fleuve en période d’étiage. Sans oublier que la Seine contribue au refroidissement des réacteurs de la centrale nucléaire de Nogent. Mais face au réchauffement climatique et l’alternance de périodes d’inondation et d’étiages sévères, ce maillage sensible risque de perdre son équilibre particulier. D’après le site https://www.valdemarne.fr, le dérèglement climatique touchera l’Île-de-France d’ici 2050, et le Val-de-Marne situé à la confluence de la Seine et de la Marne n’y échappera pas. Mais évaluer l’importance de l’eau demande au préalable sa reconnaissance, sa considération dans des lieux où elle ne l’a sans doute pas été, voire ne l’est toujours pas, depuis le développement des banlieues Est, le projet de ville nouvelle.
 
J’ai au préalable exploré les sinuosités de la partie de la rivière intégrant le Grand Paris via les cartes et Google Earth. Mon projet s’est articulé autour de deux éléments : les pourtours des ponts et passerelles, indispensables ouvrages de franchissement, et les îles posées sur le courant comme des contrepoints frêles à l’univers urbain : des îles flottantes.
 
   Comme tout cours d’eau d’envergure, la Marne est à la fois lien et séparation, route aquatique et frontière entre espaces en vis-à-vis. Ainsi sur sa courte traversée urbaine entre Gournay-sur-Marne et sa confluence, environ 25 ponts et passerelles enjambent le cours d’eau pinçant les berges opposées telles des agrafes géantes profondément enfoncées dans le sol. Ces lieux de croisements stratégiques entre voies d’eau, routes et rails, modifient la perception de l’espace et engendrent des transformations paysagères singulières. L’aménagement autour de ces ouvrages, entre bétonisation et émergence de friches offre, le long des berges à proximité, des interstices à une végétation en perpétuelle adaptation. Un microcosme fragile qui témoignera, subtilement, aussi par l’apparition de nouvelles espèces, d’un changement déjà perceptible, exigeant de nouvelles attitudes dans l’accompagnement du vivant.
 
   Depuis certains ponts, mon regard plonge vers la rivière et s’amarre à des micro territoires qui se révèlent îles de tailles et de configurations variables. Tels des cargos d’un autre type, elles passent en dessous, se détachent de l’environnement urbain et prennent des apparences multiples : forêts mouvantes dont les ramures denses touchant la surface de l’eau dissimulent les berges ; espaces lotis dont les habitations évoquent que la Marne fut parfois un lieu de tournage, un lieu d’excursion bien connu des peintres. Souvent la mémoire passée se reflète avec une folle poésie dans leurs noms : Île des Ravageur, Île des Loups, Île Brise-Pain.
 
Je suis la Marne à contre-courant, au fil des saisons, depuis sa confluence avec la Seine au parcours urbanisé, vers les nouveaux territoires encore davantage « villes dans la campagne » aux berges moins contraintes. Je suis attentive à la stratification complexe et la beauté de certaines constellations, mais aussi au détail éclairant.
L’imaginaire sollicité, en lien avec le réel et la nécessité d’anticiper, finit par tisser une fiction entre ce qui ne tient pas en place et ce qui doit garantir une stabilité dans le contexte urbain. Mais s’y infiltre immédiatement la question : combien de temps encore ces îles auront-elles les pieds dans l’eau, dans combien de temps les ponts perdront-ils leur fonction puisque la traversée de la Marne pourrait se faire à pied ?

    Beatrix von Conta, 2023

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