Commande de création des Affaires Culturelles de la Ville de Marseille.
Tirages argentiques en noir et blanc comportant des interventions en couleur aux albumines. Pièces uniques.
1996
Indélébile
Éléments de réflexion
Afin d’augmenter la collection des œuvres constituant le Fonds Communal du Littoral, les Affaires Culturelles de la Ville de Marseille m’ont proposé début 1996 une commande de création d’images à propos de la ZAC St. André, appelée GRAND LITTORAL.
Cette commande me laissait toute liberté d’approche et d’interprétation.
Le chantier du GRAND LITTORAL, l’un des plus grands d’Europe, situé près de l’Estaque à l’Ouest de Marseille sur l’emplacement d’une ancienne carrière d’argile, aboutira à l’issue des travaux à un des plus grands, sinon le plus grand centre commercial de France.
Je serai face à un paysage en mutation.
Une enclave de paysage de 105 ha passant de son état de friche provisoire et enjouée à celui d’un vaisseau gigantesque de la société de consommation.
Avant la rencontre avec la réalité du terrain, les images mentales que j’y projetais s’appuyaient sur les indications suivantes :
– le lieu d’implantation – une ancienne carrière d’argile, face à la mer, exploitée par des hommes jusqu’au début du siècle et représentée sur un plan récent de Marseille par une grosse tache blanche et ronde, vide énigmatique au cœur de l’enchevêtrement des quartiers et axes routiers.
– la description sur un panneau du futur site :
GRAND LITTORAL
TREMA PROMOTION aménage
Un site de 105 ha à Saint André permettant la réalisation de
– un parc animalier de 23 ha
– un centre commercial de 140000 m2 et 5000 places de stationnement
– un parc immobilier d’entreprises
– 23 logements, résorption de l’îlot Lorette
– 25000 m2 de logements, hôtel, services
– un complexe cinématographique.
La veille de mon premier entretien avec la responsable du projet de cette commande, un immense glissement de terrain a imposé l’arrêt des travaux sur le site de la ZAC St. André. Les bâtiments du collège Henri Barnier, situés au pied du chantier, fissurés, disloqués, ont été évacués en catastrophe. Les 7 familles occupant des appartements de fonction n’ont pu emporter que le strict nécessaire.
Un site qui fait fuir les hommes.
Un site détruit qui détruit.
L’évidence que 5.5 millions de m3 de terre ne se laissent pas remuer impunément comme une pelletée de terre dans une brouette.
Avant même d’y avoir posé mes pieds, ce paysage en mutation violente portait déjà, dans mon esprit, des stigmates indélébiles.
Mais ensuite mon imaginaire s’est fait doubler par une réalité dont je n’avais pas songé un instant qu’elle puisse s’approcher à ce point de ma vision intérieure.
L’immensité du site, remodelé artificiellement en lacs et montagnes par d’innombrables engins de chantier, traversé de tranchées profondes, recouvert en partie de bâches et de grillages, crevassé par des drains et surmonté par d’immenses bâtiments en construction ressemblant à des plateformes de porte-avions, suggérait davantage un paysage ayant subi une catastrophe naturelle ou un bombardement qu’une future zone de loisirs et de dépenses.
Un champ de bataille.
Alors le regard, afin de ne pas être englouti, cherche, s’accroche, encadre, prélève, sauve. Il se repère sans cesse grâce aux éléments d’un environnement plus large, liés à l’histoire et présents au loin tels des phares envoyant leurs faisceaux lumineux aux navires en perdition : flèches de tours d’églises, voûtes du viaduc de l’Estaque, Notre Dame de la Garde, tours d’immeubles pointant le ciel, fragments de terre non cimentés, et puis, indélébile, en contre-jour, la promesse de la mer.
Au regard bouleversé suit le geste : les négatifs des photographies réalisées seront marqués d’une façon indélébile par des traces : au pyrograveur, au fer à souder, à la pointe de clous et d’aiguilles. Des fenêtres s’ouvrent, des pans d’images glissent, se décalent, révèlent le noir de la lumière que plus aucun support de celluloïd ne filtre.
La couleur les recouvre, les extrait. Le regard devient loupe, le fragment image.