Franciscopolis – Le Havre

2015-2017

Franciscopolis – Le Havre


Depuis de nombreuses années, j’observe et explore l’évolution du paysage contemporain, passant régulièrement des grands espaces aux agglomérations urbaines. Je suis fascinée par le concept de la ville, interrogée par l’improbable utopie d’un vivre ensemble soumis en permanence à d’infinis ajustements et bouleversements, attirée par la verticalité stratifiée qui élève et fait basculer le regard.
Timisoara, Toulon, Lyon, Beauvais ou Gardanne, le fil conducteur qui les unit, malgré leurs profondes différences, s’ancre dans leur hétérogénéité complexe et l’impossibilité de les réduire à un cliché lisse gommant les aspérités infligées par l’histoire. Tels des personnages, les villes suscitent des sentiments contradictoires et exigent dans l’approche sensible temps et profondeur du regard.
 
Mais il arrive aussi que lors d’un bref passage se produise un coup de foudre inattendu.
Ce fut le cas pour Franciscopolis en 2015, lorsque j’ai découvert, sous un ciel chargé, ce métropolis maritime et sa baie futuriste face à l’océan.
Comment ne pas associer à la sonorité suggestive de ce premier nom donné au Havre en 1517, en hommage à François 1er, le rêve d’un rayonnement politique et économique au-delà des frontières, l’idée d’une science-fiction avant l’heure ?
 
Étrangement inconnu, le Havre se résume pour les uns à une grande ville portuaire, proche des falaises d’Étretat, emblème touristique, et pour les autres au centre ville reconstruit par Auguste Perret après les bombardements à la fin de la Seconde Guerre mondiale, et inscrit par l’UNESCO en 2005 au Patrimoine Mondial de l’Humanité. Entre ces pôles, l’incroyable diversité de cette ville fascinante aux multiples facettes échappe.
Le Havre concentre comme peu de villes françaises des strates d’une histoire mouvementée, entre mer et terre, anéantissement et reconstruction, conservation et innovation, industrie et jardins en abondance. Ni ville musée, ni laboratoire urbain, et pourtant tout à la fois, le Havre, grâce à sa lumière changeante et capricieuse, accroche le regard par un assemblage surprenant de constellations urbaines.
 
Photographier une ville est une façon de prendre la mesure, ou démesure, du temps présent.
En  immersion dans ce kaléidoscope visuel, je constitue au fil du temps un ensemble de photographies suggérant sur fond d’un passé historique l’idée d’une fiction. Proposer des éclats d’une ville multiple où le ciel normand, au lieu d’éteindre les couleurs, les ravive, nourrissant les blancs, animant les teintes terreuses du béton.
 
Je ne me cantonne pas aux limites administratives de la ville, la notion d’unité étant depuis longtemps fissurée par les innombrables voies d’accès et autres bretelles la connectant à l’ailleurs.  J’irai chercher des images au-delà des falaises de craie érodées, capter un front de mer qui rappelle l’appel du large  et le départ, en 1935, du paquebot Le Normandie pour rallier New York.
Je sillonnerai l’arrière pays plat et herbeux, dépourvu d’attraits singuliers, mais qui, au 16ème siècle, par son inhospitalité marécageuse, a défié les constructeurs mais aussi permis l’ancrage indispensable de cette ville orientée vers la mer, qui ne tourne pas le dos à la terre. 

    Beatrix von Conta, 2016

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