Espace de culture

Espace de culture : 22 tirages argentiques en noir et blanc mis en couleur aux albumines ; format 40 x 50 cm, encadré 60 x 70 cm. Pièces uniques.
Textes extraits du « Jardinier Provençal », E.Gueidan, Marseille Tacussel Éditeur, 15ème édition, 1974
50 photographies noir et blanc, format 16 x 20 cm, installées dans des cadres-boites lasurés blanc, format 18,5 x 21,5 cm. Photographies numérotées sur 5 exemplaires.
1999-2001

Espace de Culture


Serre: de serrer v. tr. (1160, latin populaire de serrare de sera : barre, verrou, par extension : prison)
 
Entrer dans une serre est une expérience des sens, puissante et magique.
Les bruits du monde s’estompent en un silence feutré. Aucun bruissement de vent ne fait trembler l’alignement parfait des feuilles, aucun mouvement ne trahit la croissance accélérée. Le temps est suspendu au lent goutte à goutte des systèmes d’arrosage. L’humidité se dépose sur la peau comme elle se dépose sur le sol bâché. L’odeur vous enveloppe comme un parfum.
Plastiques translucides, bâches teintées, vitres blanchies, la lumière est soumise à un contrôle continu.   
Ébloui par la clarté diffuse, l’œil perçoit un paysage à l’ordonnancement savant, un patchwork subtil aux coutures métalliques. Un puzzle d’images.
Dans ces tunnels à lumière sans horizon, laboratoires de paysages éphémères et artificiels, des végétaux poussent selon une géométrie rigoureuse imposée par des impératifs de rendement. L’espace est précieux, l’occupation du sol intense, les soins fréquents. Baignées d’une même lumière tamisée, ces plantes en batterie s’élèvent vers un avenir tout tracé. La culture en rangs serrés n’autorise guère d’exception à la règle. Sur cette palette de futurs jardins, le mélange de genres et de couleurs n’est pas à l’ordre du jour. Le mode d’emploi doit être suivi à la lettre. Ici on cultive le grain et non l’ivraie.
Mais dans ce lieu où le vivant et l’artificiel sont contraints à une cohabitation forcée, il n’est point question de nature. Plutôt de beauté. Production d’une beauté  aux normes établies, conforme aux goûts, destinée à l’exportation, à un retour dans l’espace du jardin ou de la maison, à une vie  brève dans un vase choisi, sur la table du salon.
 
Comment échapper à une détermination aussi inexorable, à des structures aussi rigides ?
Dans mes photographies en noir et blanc, la couleur diffuse sa propre lumière. C’est elle qui ramène la vie, c’est par elle que l’espace se desserre. Elle investit les surfaces, approfondit la matière, sculpte les volumes. Sa douceur interroge la structure donnée, sa sensualité met à portée de main ce que le regard touche à distance.
Grignotés par le temps, accrochés aux grains du tirage, des fragments d’écriture s’infiltrent comme de la mauvaise herbe. Insoumis, épris de liberté, ils ont déserté leur manuel de jardinage, Le jardinier provençal, et, se jouant de l’impératif de la phrase structurée, viennent habiter cet univers différent. Comme la couleur, seule trace d’un rêve évanescent, ils émergent d’un contexte oublié. Des mots aux sens multiples, points de suspension à limage photographique. Ils en lacèrent l’évidence et ouvrent une brèche poétique dans les lieux clos et confinés de ces espaces de culture.
Face à ces images, tel un lointain écho, des petites photographies en noir et blanc glanent  par terre et dans l’espace certains détails qui renvoient à la main de l’homme et aux techniques de fabrication. Ces fragments d’un réel d’apparence anodine, où les objets prennent des allures surréalistes, sont enchâssés dans des cadres-boîtes. A l’instar d’une collection d’insectes épinglés, ces petits espaces de culture conservent les traces éphémères d’un quotidien. Serres miniatures où l’on cultive ce qui n’est pas à vendre.

    Beatrix von Conta, 2000

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