À vous strict maximum

A vous, strict maximum : 20 photographies couleur argentiques, format 95 x 75 cm, contrecollées sur Dibond.
Création photographique réalisée dans le cadre d’une invitation par l’Association ALBEDO, Marseille, et exposée à la Galerie Zola, Cité du Livre,  à Aix-en-Provence en septembre 2001, avec les œuvres de Lionel Fourneaux et d’André Forestier sous le titre PRESENT ANTERIEUR.
2000-2001

À vous, strict maximum


Depuis de nombreuses années, je construis mon travail autour de la notion du paysage comme lieu de mémoire. Des sites souvent marqués par des catastrophes naturelles, comme le massif de la Sainte-Victoire, abordé dans « SAINTE-VICTOIRE », ou par les ravages de la guerre 14-18 au cœur de mes travaux « RECONNAISSANCES » et  « VOIS-LA ».
Face au sujet de la tuilerie des Milles près d’Aix-en-Provence, ancien camp de transit, d’internement et de déportation de 1939 à 1942, je suis amenée à placer, impérativement, le corps devant le paysage.
 
La « salle des fresques », ancien réfectoire des gardiens du camp, classé en 1993 « Mémorial National des Milles », est ceinte, à partir de la mi hauteur, de peintures murales effectuées en 1941 par des artistes détenus.  Peintures symboliques, elles sont l’expression d’individus  décidés à rester, malgré tout et en dépit du pire, DEBOUT.
 
 « A VOUS, STRICT MAXIMUM », s’inscrit ainsi dans cette notion de verticalité et renvoie à ce qui définit l’essence de tout système totalitaire : la notion de la perte de l’identité individuelle, le refus de voir dans l’autre l’égal de soi-même. Mais l’homme, même privé de liberté, dépossédé, réduit à un numéro, transformé en objet, vu comme une chose, l’homme physiquement, corporellement EST, incontournable. Strict Maximum. Le seul anéantissement, la négation suprême : sa disparition, corps et âme, choix du régime nazi.
 
Car son regard ne fut pas celui d’un homme à un autre homme 
 (Primo LEVI, Si c’est un homme).
 
Le corps et l’ambiguïté de l’acte de voir figurent au centre de cet ensemble de photographies constitué par 20 images.
 
En couleur et en grand format (95 cm x 75 cm), chaque photographie met en scène un homme, une femme ou un enfant, couchés à même le sol, face à terre, prenant légèrement appui sur les deux mains.
Représentés de dos, leur identité ne sera pas révélée par la prise de vue et leurs visages, cachés, substituts de l’individu tout entier,  n’apporteront pas l’apaisement d’une reconnaissance possible. Le dos tourné à l’objectif, refusant ainsi ce regard posé sur eux, hommes, femmes, enfants, dans une posture similaire, préfigurent leur effacement manifesté dans l’empreinte que leurs corps laisseront au sol.
L’idée de cette mémoire en train de s’imprimer à la matière se manifeste également,dans le sens étymologique du mot, par l’appui des mains au sol. Symboles de la puissance et de la domination dans la tradition chrétienne, exécutifs de la pensée, elles soutiennent, comme à la suite d’une chute, le corps dans son mouvement esquissé, non abouti, vers le haut. Seules reconnaissables, elles attirent le regard désirant d’y déceler des indices : âge, métier, classe sociale, afin d’établir une relation, un début d’intimité. Qui est-ce ?
Vêtue selon les circonstances de la rencontre, photographiée en vue plongeante à la distance imposée par ma taille, 170 cm, chaque personne occupe l’espace ainsi défini. Penchée sur eux, mon corps, strict maximum, et l’optique choisie déterminent la limite du champ visuel. Le paysage sans horizon que figure le sol ne propose aucune perspective. Aplat de matière et de couleur, il accueille les corps, leur résiste, les imprime de sa propre texture.
Les personnes photographiées, amis, proches ou rencontrées au hasard de mes déplacements, deviennent acteurs dans le cadre de ce projet. La démarche explicative auprès d’eux fait partie intégrante de mon approche photographique.
 
Les tirages grandeur nature à l’échelle 1 et la distance que requiert une lecture globale de l’image, accentuent à la fois le sentiment d’une impossible rencontre et d’une étrange proximité.
Le choix de photographier en couleur inscrit le projet dans un présent immédiat : ici et maintenant.
Lors de la mise en espace, ces vues en plongée, redressées et accrochées au mur côte à côte, retrouveront une verticalité déroutante. Présentées sans cadres, séparées entre elles par un espace infime, la mise en relation des photographies et les petits changements dans la position des corps dans chaque image, conduiront  le regard à suivre une ligne à hauteur des mains qui traversera l’ensemble du travail comme un fil conducteur.

    Beatrix von Conta, 2001

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